L'architecture est un art
- ArchiMec Design-studio
- 3 janv. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 févr. 2021

Il est difficile de définir l’architecture ou de l’isoler dans le cadre limité d’une science précise. Et même si l’on considère que c’est « le premier des arts », on ne peut l’y reléguer exclusivement, vu qu’elle va puiser ses paradigmes aux confins des autres arts, sciences, métiers ou techniques. Déjà, Vitruve (1847), en 90 av. J. C., le précise par ces termes : « L’architecture est une science qui embrasse une grande variété d’études et de connaissances ; elle connaît et juge de toutes les productions des autres arts. Elle est le fruit de la pratique et de la théorie. »
En effet, la pratique et la théorie restent un tout indissociable qui fait de l’architecture un art particulier mais aussi une science plurivalente. Tout comme la communication, c’est une science transversale qui évolue selon des variables faisant appel entre autres à l’esthétique, la sociologie, la politologie, la technologie, l’histoire, les cultures, l’économie, le tourisme, et aujourd’hui la globalisation. Elle s’adresse aux quatre sens de l’homme et s’impose à lui par sa monumentalité, voire même son gigantisme que Rem Koolhaas appelle « bigness ». Elle configure tout simplement l’environnement de l’homme, constitue le « décor » dans lequel il évolue et où il devient acteur, à la fois écrasante et magique, et comme le dit Aldo Rossi (1981) : « À peine ressentie l’impression de grandeur, on se rend compte de l’illusion des proportions […] La magie du théâtre, peut-être est-ce aussi ce mélange d’illusion et de réalité. »
L’architecture constitue le réceptacle dans lequel un individu et un groupe se meuvent et « performent ». Qu’il soit acteur principal, acteur secondaire ou simple figurant, l’Homme n’en est pas moins un acteur de vie sans qui l’architecture dépérit et perd sa raison d’être. D’où la complexité du rapport de causalité et d’effets entre l’architecture et le citoyen, une architecture qui impressionne l’être humain, parfois le réduit, mais qui ne peut pas exister sans lui. L’architecte se trouve être par ce fait un acteur primordial dans ce jeu de puissances, et nos bâtiments érigés en vue de servir l’Homme deviennent, dans certains cas, manipulés par une politique machiavélique, les « instruments » des dictateurs, des opportunistes, des terroristes, ou autres genres de prédateurs. C’est pour ces raisons qu’on en arrive souvent à confondre l’œuvre et son commanditaire comme si elle était la représentation de son pouvoir, un symbole de sa présence. Nous avons vu à travers l’histoire des bâtiments « idées » ou « représentation » se transformer en cible des peuples révoltés réclamant leur liberté ou leur droit à décider de leur sort, où l’architecture communicative dépasse le cadre de l’usuel et du signifiant primaire pour devenir un élément majeur, voire même un outil médiateur des enjeux sociopolitiques qui peuvent se transformer soudain en jeux dangereux pour l’humanité. On croyait le temps de la démolition de la Bastille révolu, mais le 11 septembre 2001 nous a appris qu’un bâtiment symbolique reste un moyen par excellence de transmission de messages multipolaires – ces messages dont la polysémie est décuplée par une diffusion planétaire en temps réel. La monumentalité de l’œuvre ciblée, les « twin towers », et sa symbolique, ainsi que la communication gigantesque provoquée par la violence de l’acte, ont offert la possibilité aux terroristes de susciter des réactions opposées en Orient et en Occident qui se sont transformées en conflit, réveillant un antagonisme religieux latent. Ce choc, dont nous vivons les conséquences aujourd’hui, et pour un certain temps encore, freine entre autres la marche de la globalisation et divise les sociétés. En définitive, l’enjeu est énorme pour l’humanité : un bâtiment tombe, frappé par la haine, et le monde entier est en ébullition. Pouvons-nous dans ce cas dire qu’un ouvrage architectural est exclusivement une œuvre artistique ? Pouvons-nous la limiter à l’aspect symbolique et sculptural ?
Hegel (1997), dans sa distinction entre l’architecture et l’art en général, classe les édifices en trois catégories : 1) « les ouvrages d’architecture bâtis pour la réunion des peuples » et donc, en quelque sorte, les bâtiments publics religieux ou étatiques qui usent principalement de la symbolique imagière et le rituel ; 2) « les ouvrages d’architecture qui tiennent le milieu entre l’architecture et la sculpture », qui offrent « pour leur symbolique des formes plus concrètes » et donc s’éloignent de l’évènementiel pour verser plus dans l’usuel ; 3) enfin, « les ouvrages qui constituent un passage de l’architecture symbolique à l’architecture classique », donc le passage de l’aspect dominant à l’abstraction formelle, où la symbolique imagière laisse la place à l’émotion induite par la spatialité et la fonctionnalité. Ce qui confirme notre précepte que, contrairement à l’art, un des aspects de l’architecture – qui n’est pas le moindre – n’est pas nécessairement tributaire des formes, qui pourraient même disparaitre (dans le cas des espaces enterrés ou naturels), au profit d’une façon d’occuper l’espace ou de l’interpréter. L’interpréter vient ici dans le sens de l’imaginer, voire même de le créer de toutes pièces, car comme le dit Heidegger (2009), « l’espace n’existe pas en soi, il est une forme subjective de l’intuition de la subjectivité humaine ».
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